La entrevista a la expresidenta argentina Cristina Fernández publicada en Mediapart, Francia

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«En Francia son pocos los medios que hablan de la Argentina. Cuando lo hacen se refieren en general a los escandalos de corrupción y ultimamente sobre la implicación del presidente Macri en los «Panamá Papers». Ningún articulo mencionó sus declaraciones nefastas sobre el numero de desaparecidos. En cuanto a Cristina Fernández de Kirchner hubo sólo dos o tres articulos en la prensa escrita desde abril, todos sobre sus «problemas con la justicia”. Por esa razón me pareció útil traducir al francés extractos de la entrevista publicada en Nodal y reproducirlos en mi blog de Mediapart.

Una pequeña contribucion para que los lectores de ese medio digital francés (tres millones de visitas únicas mensuales) puedan conocer la opinión de nuestra expresidenta sobre la situación política argentina.»

Carlos Schmerkin

Cristina Fernández de Kichner: le retour

«Les partis médiatique et judiciaire ont remplacé les coups d’états». Après de nombreux mois de silence, l’ex présidente de l’Argentine a donné le 23 juillet une longue entrevue à six médias internationaux. Cristina Kirchner a abordé avec les journalistes invités chez elle à Calafate, différents thèmes de l’actualité argentine.

Lors de la longue entrevue collective du 23 juillet donnée chez elle à Calafate à six médias internationaux, l’ex présidente Cristina Fernandez de Kirchner a abordé différents thèmes de l’actualité argentine. Lors de la réunion, outre le portail NODAL étaient présents : Al Jazeera du Qatar, le quotidien La Jornada du Mexique, la chaîne Telesur basée à Caracas, l’agence Reuters du Royaume-Uni et l’agence russe Spoutnik.

En voici quelques extraits :

L’économie

Notre gouvernement avait conçu les salaires des travailleurs non pas comme un coût économique mais plutôt comme un effet dynamisant et organisateur de l’économie grâce à la consommation. Et l’on va me répondre : « maintenant c’est l’étape de l’investissement, la consommation suivra… » Sans consommation personne n’investit. Lorsqu’on produit des aliments, des voitures… c’est la consommation qui garantit que l’investissement de l’entreprise sera rentable car sa production pourra être distribuée sur le marché intérieur ou à l’exportation.

Aujourd’hui, dans un monde ou l’offre et les excédents sont si importants, toutes les économies, quel que soit leur niveau de développement – qu’elles possèdent les plus hauts niveaux de technologie, ou qu’elles produisent des bien primaires – ont des excédents de production. La consommation a baissé dans le monde entier en raison de la persistance de la crise et des plus d’inégalités de revenus qui s’aggravent et qui se propagent comme une nappe de pétrole à travers le monde.

En outre, avec une politique commerciale ouverte à l’importation nous recommençons à voir les supermarchés argentins remplis de fruits, d’aliments, de porc d’autres pays… tout cela menace le marché intérieur. Cela ne signifie pas que l’on a une économie fermée, mais une économie qui se soucie des producteurs, des investisseurs et des petites et moyennes industries locales.

Retour en arrière

Sans doute des erreurs et maladresses ont été commises, mais convenons que quitter le pouvoir devant une place pleine à craquer est un phénomène qui ne s’est jamais vu. Je souhaite que tous les gouvernements actuels ou futurs qu’ils puissent en dire de même. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un retour en arrière évident en ce qui concerne les libertés et il faut rappeler le cas de Milagro Sala, première prisonnière politique ainsi que ceux de son époux et d’autres militants ou dirigeants sociaux toujours emprisonnés.

Il y a aussi les licenciements qui s’amplifient. Aujourd’hui le chômage, l’insécurité et l’inflation, figurent parmi les principales préoccupations des Argentins. Le chômage n’a pas été un problème au cours de notre gouvernement. Aujourd’hui, l’inflation et la variation des prix est constante. Je crois que la hausse du coût de l’alimentation doit être supérieure à 50%. Donc bien sûr il y a en retour en arrière.

Les fonds « vautours »

Le nouveau gouvernement a peut-être mal évalué sa négociation avec les fonds « vautours ». Il a réussi à imposer au Congrès de voter un accord très mauvais avec ces fonds. Il pensait qu’avec cet accord les dollars allaient pleuvoir. Et bien non, les investissements sont régis par d’autres critères.

Il y a trois piliers dans ce processus que vit le monde et en particulier notre région : le pouvoir des médias, le pouvoir judiciaire et également le pouvoir financier qui se répand comme une tache d’huile sur le monde et qui s’impose à ces deux autres secteurs. Nous avons été attaqués sur notre gestion car nous ne voulions pas payer 1600% d’intérêt en dollars, ce qui dépasse tout concept usuraire et ce qui nous aurait directement amené à dépouiller le pays. Aux dernières élections les partis qui prétendaient au pouvoir étaient divisés sur cette question. Cela a encouragé les fonds « vautours » à poursuivre leurs exigences parce qu’on leur disait leur qu’une fois ces partis au pouvoir ils pourraient négocier avec eux et répondre à toutes leurs demandes.

Je me demande ce qu’aurait été la solution pour les Argentins, si tous les partis politiques qui ont toujours beaucoup parlé de l’unité nationale, avaient été en mesure de parvenir à un large consensus et dire : quel que soit le gagnant c’est nous qui fixerons le montant. Je suis absolument convaincue que si telle avait été l’attitude de toutes les forces politiques, sans qu’elles soient nécessairement progressistes ou de gauche mais en seulement aimant leur pays et en concevant que la dette extérieure est le principal et plus vieux problème de notre pays, cela aurait été possible.

Multipolarité

Convenons que le pays et le monde traversent un moment complexe. Les Argentins parlent toujours comme si l’Argentine était une planète isolée. Je crois que tout ce qui se passe dans le monde a une influence : la crise de la dette en Grèce, en Espagne … le Brexit mais également la situation mondiale : la désintégration des organes régionaux, la faiblesse du Mercosur et Unasur, ainsi que l’Union européenne avec le départ de l’Angleterre.

Les BRICS se présentaient comme une alternative. Je me souviens que la présidente Dilma Rousseff nous avait convoqué à Brasilia, à l’UNASUR et aux BRICS, pour créer un Fonds spécial des BRICS, ce qui aurait été une sorte de fond alternatif. Mais ensuite il y a eu des difficultés, bien sûr celle du Brésil, mais également au plan économique en Russie… une multipolarité semblait surgir de façon croissante dans le monde … mais celle-ci a subi une perte de valeur et on revient presque à un monde unipolaire. Cela n’est bon pour personne, même pas pour ceux qui semblaient en être les bénéficiaires.

Le Front Citoyen

Le 13 Avril personne ne parlait du prix du gaz et de l’électricité ; et rappelez-vous lors de la manifestation à Comodoro Py*, j’avais parlé d’un « Frente Ciudadano » où il devait y avoir la reconstruction de nouvelles majorités, non pas sur des bases partisanes mais comme le résultat d’un rassemblement contre les agressions économiques. Ce même 13 avril alors qu’aucun dirigeant politique ne s’en préoccupait j’ai évoqué les augmentations d’électricité, de gaz et du panier alimentaire de base. Ils étaient tous très enthousiastes d’avoir signé l’accord avec les fonds « vautours » pensant que tout allait trouver une solution.

Cela ne fait pas de moi une personne visionnaire, intelligente, ou particulièrement voyante mais simplement une personne qui a occupé huit ans le fauteuil de la Casa Rosada. Je savais que ces augmentations de fin janvier et fin février auxquelles personne n’avait prêtées attention, allaient avoir un impact phénoménal sur l’inflation, sur la qualité de vie et sur toute l’activité économique.

L’idée que les subventions étaient pour les « morochos », pour les pauvres, pour villeros (habitants des bidonvilles) … enfin los « cabezas » comme ils les appellent avec dédain … et bien non : les subventions étaient pour l’ensemble de l’économie, pour la petite, moyenne et aussi pour la grande industrie nationale. Les subventions représentaient un salaire indirect pour les travailleurs, la classe moyenne, qui pouvait alors consommer, voyager, acheter une voiture ou une maison.

Et pour en revenir à l’augmentation des prix je me rappelle que lorsqu’un journaliste pose la question à l’actuel ministre de l’économie à propos de l’impact qu’elle a sur l’économie il répond que cela correspond au coût de deux pizzas…Bon c’est quand même un peu plus que deux pizzas même si elles sont garnies de poivrons, de jambon et d’olives de toutes sortes, elles ne permettent pas de payer une facture.

Je pense également qu’éliminer des revenus de l’Etat, les taxes à l’exportation payées par les secteurs les plus concentrés de l’économie à forte rentabilité est une erreur car cela a créé un déficit qui n’existait pas. Pourquoi réduire en particulier les taxes à l’exportation du secteur minier ou des entreprises monopolistiques de la production primaire ?

Provoquer un choc ?

Peut-on dire qu’il y a vraiment eu un mauvais calcul ? Non : Je crois que le pouvoir actuel voulait provoquer un choc pour ensuite avoir la latitude d’imposer n’importe quel salaire à des travailleurs craignant de le perdre. L’augmentation des tarifs avait pour objectif la précarisation et la flexibilité salariale. Au-delà des hypothèses ou des bonnes intentions ce choc n’était pas celui attendu par la société argentine ; on lui avait promis qu’il n’y aurait pas d’augmentations, ni de dévaluation, qu’il n’y aurait pas de licenciements et que personne ne serait poursuivi pour ses idées, enfin que tout irait mieux, et que même les matchs de foot continueraient d’être retransmis gratuitement à la télé.

Les résultats n’ont même pas été à la hauteur attendue par l’équipe gouvernementale qui s’est défini elle-même comme la meilleure de ces cinquante dernières années.

Bicentenaire de l’independance

Pour moi l’histoire a toujours eu une signification importante non pas comme le simple récit de ce qui nous est arrivé, mais comme la compréhension de ce qui se passe aujourd’hui et de ce qui peut nous arriver. L’histoire n’est pas le récit de qui était untel, de comment on a traversé les Andes ou si Mariquita Sánchez de Thompson chantait l’hymne sur un piano désaccordé…Pour ceux qui militent et qui font de la politique, l’histoire est un instrument qui participe au changement de la destinée d’un pays et d’un peuple. L’histoire est aussi la possibilité de comprendre ce qui nous arrive.

Une des questions que j’ai toujours considéré comme essentielle c’est la commémoration du 25 mai 1810. C’est important pour moi et pour les Argentins, parce que cette date a toujours été la propriété exclusive de l’historiographie libérale argentine, et parce que le premier centenaire avait été célébré sous l’état de siège et de sa répression. L’infante d’Espagne, qui avait était invitée se promenait en carrosse dans les rues alors qu’il y avait la faim, le chômage et des travailleurs emprisonnés. Lorsque j’étais sénatrice la question du Bicentenaire m’a titillé l’esprit…il fallait que ce soit absolument une commémoration nationale, fédérale, régionale : de l’intégration latino-américaine. Ceux qui ont caché l’histoire se sont les autres.

Colonisation culturelle

Les problèmes que nous avons eus découlent d’une subordination culturelle. La colonisation militaire et politique dont nos héros nous ont libérée a été remplacé plus tard par une sorte de colonisation culturelle. Les gouvernements successifs de Rosas, Yrigoyen et Perón l’ont durement combattue et ces luttes ont permis des avances cycliques. Il y a aussi eu des reculs historiques et la véritable consolidation culturelle voulue par les mouvements populaires n’as pas eu lieu. Alvaro Garcia Linera a parlé de la perte de conscience de l’appartenance sociale : lorsque les classes populaires s’élèvent, au-delà de l’effort personnel de chacun, elles n’ont pas conscience que cette ascension sociale est aussi le produit des politiques que les gouvernements populaires mettent en place.

La machine Hollywoodienne montre l’histoire et la culture à sa manière. Quand on voit un film sur la Seconde Guerre mondiale, on a l’impression que se sont uniquement les Yankees qui ont gagné la guerre alors que les statistiques révèlent que 400 000 soldats américains sont morts contre 26 millions de civils et de soldats russes.

Ceux qui mettent le mieux en scène l’histoire sont ceux qui dominent aujourd’hui le monde. Il est donc important de savoir par qui et comment l’histoire est racontée. Il ne s’agit pas de raconter une épopée mais de comprendre comment sont les rapports des forces dans le monde.

Et pour terminer : à propos de l’évocation faite par le président au roi émérite d’Espagne Juan Carlos sur l’anxiété de nos héros lors de la rupture avec l’Espagne en 1816, j’ai une interprétation très personnelle de cette phrase. Je pense que quelqu’un qui s’analyse depuis longtemps, élevé par une famille puissante et un père très dominateur, reflète l’angoisse personnelle de la perte de protection au moment de prendre son autonomie face à une figure paternelle très forte.

Ma fille a peut-être raison quand elle dit que le désir de redevenir une colonie est une volonté politique … Je pense que cette interprétation et ce phénomène de l’anxiété, qui n’est pas un sentiment politique ni patriotique ni historique, fait référence à une situation de nature personnelle. L’angoisse pour moi se rapporte plus à un état d’esprit qu’à une interprétation politique et historique, surtout lorsque la personne en question n’a jamais considéré la politique et l’histoire comme un leitmotiv.

Pouvoir Judiciaire

Je pense qu’il existe un pouvoir médiatique qui juge publiquement, un pouvoir judiciaire qui est comme son reflet et un secteur qui intervient dans la région à partir de ces deux piliers. Cela s’est vu au Brésil ou l’intervention du pouvoir judiciaire a été très forte. C’est également le cas ici ou le pouvoir judiciaire est fortement intervenu durant notre gestion.

La loi sur les médias qui était un modèle contre leur monopole et leur hégémonie a été annulée par le pouvoir judiciaire.

Lorsque nous avons souhaité payer nos créanciers avec les réserves de l’Etat, la justice a voulu l’empêcher par des mesures conservatoires. Il y a toujours eu des pressions mais finalement nous avons réussi.

En outre, notre tentative pour démocratiser le pouvoir judiciaire, le dernier pouvoir corporatiste argentin, consistait à élire par un vote populaire les juges, les avocats et les académiciens du Conseil de la Magistrature comme le sont les députés et les sénateurs de cet organisme ; bien entendu cela ne concernait pas les juges des tribunaux car cela n’est pas pertinent.

Eh bien, ce fut la seule fois que le tribunal a fait usage du per saltum **. De plus une législation devait rompre un peu avec l’inertie du pouvoir et son népotisme. C’était la tentative d’une large démocratisation d’un pouvoir naturellement corporatiste. Effectivement c’est le seul pouvoir à vie et assez ancien, le seul pouvoir de cette sorte, tous les autres sont soumis à des élections et des renouvellements, etc.

Ce fut la seule fois que la Cour Suprême a utilisé le per saltum pour défendre son corporatisme alors que le projet présenté par l’exécutif avait été voté par les deux chambres à la majorité absolue.

Maintenant la Cour Suprême et le pouvoir judiciaire sont confrontés à l’approbation ou pas de l’augmentation des tarifs déjà évoquée. Les gens ne savent pas quand et combien ils devront payer.

Il est évident que je subis une persécution du pouvoir judiciaire ; cela a été annoncé par des journalistes, chroniqueurs ou des éditorialistes qui, durant les trois ou quatre années passées annonçaient que quand je ne serai plus au pouvoir j’aurai de sérieux problèmes avec la justice. Ils étaient clairvoyants ou simplement faisaient partie d’une articulation médiatico-judiciaire qui est à l’œuvre en ce moment. Se sont des accusations dont j’ai également souffert quand j’étais présidente.

Le procès que l’on me fait sur le « dólar futuro » *** est le plus emblématique de la persécution judiciaire. Le juge qui a initié le procès me demande de comparaître avec mon ministre de l’économie pensant que les bénéficiaires du dollar à terme seraient nos amis proches. Selon l’enquête, les bénéficiaires sont ceux-là même qui ont décrété la dévaluation. Pire encore dans le cas d’un fonctionnaire : le directeur adjoint du Chef de Cabinet présidentiel, il avait pacté le prix qu’il allait toucher avec le propriétaire de Rofex, un des marchés à terme. Ceci est un vrai délit car incompatible avec la fonction. Ceux qui ont décrété la dévaluation et ceux qui ont profité de ces contrats ne sont pas du tout inquiétés. C’est nous qui sommes poursuivis pour avoir voulu préserver et soutenir la valeur de notre monnaie.

La vérité c’est que c’est une accusation absolument arbitraire, sans queue ni tête qui révèle un haut degré de persécution. Et enfin : saisir la pension du président est pathétique et ridicule. Je ne me plains pas. Lorsque tu décides que les responsables du génocide doivent être poursuivis et condamnés, quand tu récupères un bâtiment comme l’ESMA pour le rendre au devoir de mémoire, lorsque tu décides de récupérer la gestion des retraites des travailleurs, quand tu dis que les travailleurs doivent avoir un salaire leur permettant de vivre avec dignité et de dynamiser l’économie, quand tu décides de reprendre YPF -la société la plus importante d’Argentine et l’une des 2000 plus grandes entreprises au monde, quand tu récupères Aerolineas Argentinas et la transformes en une compagnie aérienne compétitive, lorsque tu décides de récupérer la gestion de la compagnie des eaux pour réaliser les travaux d’infrastructure nécessaires, quand tu fais tout cela c’est sûr qu’un des risques c’est que l’on te poursuive politiquement et qu’on te mette en prison.

*Editor argentino en Francia y argentina. Ex preso político y co-autor de “La paloma engomada, relatos de prisión, Argentina 1975-1979”.

Mediapart

 

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