Argentina: Milagro Sala, la chispa de un pueblo (original en francés) – Por Alicia Dujovne Ortiz

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Milagro Sala, l’étincelle d’un peuple

Qui est donc Milagro Sala, prisonnière politique la plus célèbre d’Argentine ? Pour le savoir, Alicia Dujovne Ortiz est allée enquêter sur place, dans la province de Jujuy, au printemps 2017. Elle a rencontré Milagro Sala dans sa prison ainsi que son mari, ses camarades de luttes, des membres de son association Tupac Amaru, ses voisins, ses ennemis aussi.

Au fil des témoignages se révèle une femme hors du commun, une révolutionnaire d’une générosité exceptionnelle qui a su mettre la cause indienne sur le devant de la scène, et qui est aujourd’hui en danger de mort. L’Assemblée de Citoyens Argentins en France (ACAF) organise la présentation de ce livre dans le cadre de sa campagne internationale pour la libération de Milagro Sala en collaboration avec la maison d’édition «Des femmes, Antoinette Fouque».

La figure de cette dirigeante indienne du Nord-Ouest argentin n’a cessé de grandir au fur et à mesure que se sont étendues ses formidables réalisations sur le plan social, mais aussi, malheureusement, depuis que le gouverneur de la province de Jujuy, Gerardo Morales, a décidé de la faire emprisonner. Voici aujourd’hui presque deux ans qu’a eu lieu son arrestation dans la prison de Alto Comedero, considérée comme arbitraire par l’ONU, par Amnesty Internationale ainsi que par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, laquelle a donné l’ordre au gouvernement argentin de procéder à sa libération immédiate ou, le cas échéant, de la transférer à son domicile en résidence surveillée. Cependant, aucun appel ne semble exercer la moindre influence sur ce pouvoir féodal, blanc et masculin, symbolisé par un dirigeant capable de proclamer sans ambages : « Je ne la libérerai pas. »

La haine viscérale de Morales et de toute une couche de la société de la province envers Milagro Sala plonge ses racines dans l’histoire de la colonisation. C’est que l’attitude de Milagro frôle-t-elle l’inconcevable : se revendiquer en tant que femme indienne, revaloriser la spiritualité du peuple Kolla et, en outre, s’appuyer sur une population de marginaux, tous abandonnés à leur sort par le libéralisme sauvage des années 1990 et, surtout, par la crise de 2001. Adoptée par une famille de la classe moyenne, Milagro a elle-même connu les bas quartiers, la drogue, la violence de la rue et la prison, à partir du jour où, à l’âge de quatorze ans, elle a fugué pour intégrer le groupe des exclus ; un retour aux origines qui se transforma peu à peu en élan de générosité. Les enfants pauvres avaient faim ? Elle rassembla les adolescents toxicomanes, les mères célibataires issus des bidonvilles et leur dit : « Organisons les Verres de Lait » – autrement dit des goûters pour les enfants.

En 2004, l’originalité de ses projets attira l’attention d’un président récemment élu, Nestor Kirchner, qui lui offrit de l’argent pour la construction de logements sociaux. Une manne tombé du ciel grâce à laquelle, avec son équipe de jeunes et de femmes qu’elle fit travailler comme maçons, à égalité, Milagro réussit à réduire les coûts de construction en fabriquant les blocs de ciment au lieu de les acheter, faisant construire rien moins que huit mille maisons au sein de toutes les villes de la province, puis des centres de santé dotés d’un matériel médical de pointe, des écoles primaires et secondaires ou des parcs aquatiques- sa véritable obsession depuis son enfance, quand elle s’est vu refuser l’entrée à une piscine à cause de la couleur de sa peau.

Mais construire ses propres maisons dans un esprit communautaire était aussi se construire soi-même, retrouver l’identité perdue. Ces chômeurs qui n’avaient jamais connu un travail digne pouvaient désormais se reconnaître en tant que groupe social – c’étaient les tupaqueros, du nom de l’organisation Tupac Amaru crée par Milagro comme un hommage au descendant du dernier Inca, révolté contre les Espagnols et soumis au supplice de l’écartèlement au XVIIe siècle, au Pérou ; Tupac Amaru dont le portrait orne toujours le toit de toutes ces maisons, avec celui d’Eva Perón et du Che Guevara.

En plus d’être femme, et « negra», comme elle-même se décrit, Milagro a fini par agacer le pouvoir en place en orchestrant une sorte d’ »Etat parallèle », ce qui explique l’acharnement avec lequel le gouvernement de Morales est en train de détruire tout ce qui a été construit par la Tupac Amaru. Mais ce qui a sans doute dérangé le plus, c’était la provocation permanente de cette femme qui, entourée par une foule de « negros », célébrait en plein cœur de la ville la déesse Terre-mère ou le dieu Soleil , des rituels oubliés qu’elle remettait au goût du jour ; cette femme qui appelait au blocage des rues principales pour réclamer de meilleurs salaires ; ou encore – dernier acte de la tragédie – qui organisa durant plusieurs semaines un campement sur la place la plus importante de Jujuy. Milagro fut arrêtée en décembre 2015 lors du fameux campement, constitué d’énormes tentes abritant des familles entières de tupaqueros, et aussi de petites piscines pour les enfants, car il faisait chaud, et que comme toujours elle avait pensé à tout.

Ce livre inclut quatre conversations avec Milagro dans le centre de détention d’Alto Comedero, en Mai dernier, ainsi qu’une quinzaine d’entretiens avec des militants tupaqueros. On y trouve aussi un représentant des indiens Kollas ou encore une famille d’indiens Guaranis. Plusieurs intellectuels proches de la Tupac ont apporté un regard positif mais critique, regrettant l’absence d’une « construction » dans les activités de Milagro, dont la « verticalité » excessive aurait conduit à la décapitation de l’association avec l’emprisonnement de sa dirigeante.

Plusieurs de ses accusateurs, menacés ou achetés par le gouvernement, se sont déjà rétractés. Cependant la « prison provisoire » de Milagro se perpétue sans qu’aucun jugement ne soit encore intervenu. À l’heure où j’écris ces lignes, il semble que peu d’espoir soit permis quant à une libération prochaine de Milagro Sala, placée en régime d’isolement et victime de mauvais traitements- des menaces de mort, des coups, des privations de sommeil et d’intimité. Tel que l’a constaté la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme lors de sa visite, les jours de la prisonnière politique la plus notoire du gouvernement de Mauricio Macri sont aujourd’hui en danger. Puisse ce livre alerter l’opinion internationale sur une réalité qu’on croyait révolue en Argentine.

(*) Alicia Dujovne Ortiz. Née à Buenos Aires en 1940, Alicia Dujovne Ortiz est installée en France depuis 1978. Journaliste, critique littéraire et critique d’art, romancière, poète, écrivaine, biographe, elle est l’auteure de nombreux romans. Elle a également écrit plusieurs biographies remarquées. Ses livres ont été traduits en plus de vingt langues.
Elle a reçu en 2013, le Prix Konex de Platino (Argentine) pour l’ensemble de son œuvre.

(*) Alicia Dujovne Ortiz nació en Buenos Aires en 1940. Es una periodista y escritora argentina. Hija de la periodista Alicia Ortiz y del editor Carlos Dujovne; sobrina del intelectual León Dujovne. Fue galardonada con el Premio Konex – Diploma al Mérito 2004 y el Konex de Platino 2014.

Mediapart

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